Dimanche 26 avril, Les disciples d’Emmaüs

Dans les commerces de notre village quelque chose a changé. Désormais tout le monde attend son tour bien à distance, souvent jusque sur le trottoir, et puis une fois à l’intérieur, la conversation peine à s’engager, avec une ambiance un peu lourde qui pèse sur les épaules. Comme me l’a fait observer une personne, on n’a plus envie de parler de l’épidémie et pourtant elle s’impose dans toutes nos têtes, alors du coup les paroles se font plus rares.
A partir de cette image il est facile de rejoindre nos deux compagnons cheminant vers le village d’Emmaüs proche de Jérusalem. Même si l’on peut penser qu’eux n’avaient pas de masque sur le visage, on comprend vite quel sujet d’actualité envahit toutes leurs pensées et raréfie leurs mots : Jésus de Nazareth est mort, mort sur une croix, oui Jésus, cet homme en qui ils avaient mis leur confiance, au point de réengager toute leur vie à sa suite.
Aujourd’hui, pris nous même dans un contexte d’incertitude un peu oppressant, nous pouvons mieux mesurer comment tout d’un coup l’horizon se referme pour Cléophas et son ami. Que vont-ils devenir ? Comment pourront-ils se réinventer un avenir ? Les voilà pris dans une boucle qui peut nous être aussi familière, cette sorte d’incitation stérile à faire et refaire le « match » à l’infini.
Pour autant, et même s’ils n’appartiennent pas encore à un groupe whatsapp, les informations continuent d’arriver à nos deux compagnons dérivant sur leur route. Il semble que des femmes plus matinales que les autres se soient déjà rendues au tombeau et n’aient pas retrouvé le corps de Jésus, certains prétendent même qu’elles ont eu une vision, et que des anges ont attesté qu’il est vivant. Aussi immense que puisse être la nouvelle, rien ne paraît pouvoir extraire les disciples de l’abattement qui les tient, car Lui, personne ne l’a vu.
Les mauvaises nouvelles ont ceci de pervers, qu’au delà de leur contenu qui déjà nous affecte, elles ont encore cette capacité à nous refermer sur nous mêmes, à nous empêcher de porter notre regard juste un peu au delà ce qu’elles sont. La vie peut bien nous faire des signes nous ne les voyons plus, ou bien alors nous les laissons se mélanger avec ce qui est bien plus terne en nous, de sorte que nous perdons la chaleur des couleurs et que nous nous croyons atteint de cécité, jusqu’à nous en convaincre fermement.
Lorsque nous en sommes à ce point il devient impossible de dénouer les choses par soi même, l’opposant de la nature humaine a une bonne longueur d’avance qu’il ne se laissera pas grignoter si facilement. Il nous faut de l’aide, quelqu’un qui puisse se tenir avec nous et écouter jusqu’au bout pour nous permettre de remettre en ordre évènements et émotions, chacun et chacune à leur juste place. Les disciples d’Emmaüs n’ont pas conscience de ce travail que Jésus les ayant rejoint leur fait faire, et cela prend du temps, mais lorsque la lumière finit par percer, l’évidence du sens l’emporte et rend à notre coeur toute sa capacité à accueillir la Vie à l’instant même.
La force de notre foi ne peut pas consister à relativiser la crise sanitaire que nous traversons, nous devons avoir les yeux ouverts sur les inquiétudes qu’elle suscite, les très grandes difficultés économiques qu’elle va occasionner, les injustices qu’elle va creuser.
La force de notre foi, c’est de savoir que notre vie d’aujourd’hui ne coïncide pas avec le carcan médiatique qui nous cerne, c’est aussi de croire que Jésus ressuscité est en chemin avec nous, tout en lui demandant les yeux qui discernent sa présence tout au long de notre marche.
Mathias

Il marchait avec eux, de François Xavier de Boissoudy

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